Financées par les plus grandes fortunes de la tech, des start-ups développent des technologies capables de modifier génétiquement des embryons humains avant leur implantation. Une révolution technologique qui soulève des questions éthiques majeures et divise la communauté scientifique mondiale.
Et si chacun pouvait décider de la couleur des yeux, de la peau ou même de la taille de son futur enfant ? Ce scénario, qui pourrait sembler tiré d’un film de science-fiction, est pourtant en passe de devenir réalité.
Des recherches sont déjà menées dans ce sens aux États-Unis. La start-up Preventive prévoit ainsi d’exploiter la technologie CRISPR, ces célèbres « ciseaux moléculaires » capables de découper et de modifier l’ADN avec une précision inédite, afin d’empêcher la transmission de maladies génétiques graves dès le stade embryonnaire.
Fondée notamment par Lucas Harrington, proche collaborateur de Jennifer Doudna, la biochimiste américaine récompensée par le prix Nobel pour son rôle dans la découverte de CRISPR, l’entreprise ambitionne de prévenir le développement de pathologies sévères chez les enfants à naître.
De la prévention au fantasme du « bébé parfait »
Il ne s’agit plus seulement de soigner un individu, mais de transformer potentiellement le patrimoine génétique d’une lignée entière. Derrière ce projet audacieux se profilent de puissantes figures de la tech, telles que Sam Altman, le patron d’OpenAI, ou Brian Armstrong, PDG et cofondateur de Coinbase.
Au-delà de Preventive, qui cultive une opacité presque revendiquée, d’autres entreprises se disputent ce marché émergent de la sélection et de l’optimisation génétique, chacune repoussant un peu plus loin les limites du possible.
Orchid, cofondée par Anne Wojcicki, la créatrice de 23andMe, propose ainsi aux parents d’examiner le génome de leurs embryons. Genomic Prediction adopte une approche voisine, utilisant des modèles statistiques pour anticiper certains traits héréditaires.
D’autres acteurs, comme Manatomic ou Bootstrap Bio, promettent même de choisir des enfants dotés d’un système cardiovasculaire plus solide, d’un taux de cholestérol réduit ou encore de facultés cognitives améliorées.
Des scientifiques appellent à la prudence
Le principal risque réside dans la dérive progressive du soin vers l’« amélioration ». Où tracer la ligne entre la prévention d’une maladie grave et le désir d’« augmenter » artificiellement les capacités d’un individu ?
L’inquiétude grandit d’autant plus que certaines de ces start-ups profitent de législations plus permissives à l’étranger pour contourner les cadres éthiques en vigueur dans les pays occidentaux.
Preventive, par exemple, envisagerait selon le Wall Street Journal de mener des essais dans des juridictions plus souples comme les Émirats arabes unis, afin de tester ces technologies sur des embryons humains. Une pratique strictement interdite aux États-Unis lorsqu’elle concerne des naissances potentielles.
Face à cette fuite en avant technologique, le consensus scientifique est loin d’être acquis. Des chercheurs, à l’image de Violette Naw, rappellent la nécessité d’un débat collectif et d’un consentement éclairé avant de franchir de telles frontières.
